Dix petites anarchistes de Daniel de Roulet

Ce petit roman est un pur bonheur : c’est un récit de vies de 10 jeunes filles puis femmes de Saint Imier, ville suisse connue pour ses horloges et pour être le berceau officiel de l’anarchisme lors du congrès de 1872. Les 10 héroïnes assistent adolescentes aux discussions de ce congrès et cela conforte leurs aspirations. Elles décident de partir ensemble, vers une autre vie, avec pour maxime « Ni Dieu, ni maître, ni mari !  » et s’exilent, direction la Patagonie pour commencer.

Le récit est construit en référence à 10 petits nègres, une des femmes quittant le groupe à chaque chapitre et la dernière, Valentine, est la narratrice. Tout au long du roman, on croise les figures de proue de l’anarchisme : Bakounine à Saint Imier, Louise Michel sur le bateau qui la déporte et surtout Malatesta, dont tombe amoureuse une des 1O petites.
Ce roman offre une vision passionnante (et oubliée) de ce qu’a pu être la vie des femmes anarchistes avant guerre, au croisement entre féminisme et anarchisme. Leur aspiration à la liberté est totale, et elles s’organisent ensemble pour y répondre au mieux, sans s’aveugler sur les difficultés et les limites, l’important étant l’expérience. Ainsi, elles participent à la construction d’un village libertaire sur l’Île de Robinson Crusoé mais, quand elles apprennent que le gouverneur envoie l’armée, elles décident collectivement de poursuivre ailleurs leur vie. ce lieu s’appelle d’ailleurs L’Expérience.

« Ce qui compte, ce n’est pas de réaliser l’utopie de l’anarchie. C’est d’être anarchiste. »


Elles vivent ensemble, construisant toujours ce qu’on pourrait appeler un écovillage où chacune a sa chambre, mais où les espaces de vie et de travail sont collectifs. Certaines ayant des qualifications de boulangère et horlogère, souvent elles montent une coopérative appelée La brebis noire en cherchant des coopérateurs parmi les habitants du coin, en Patagonie, sur l’ile ou à Buenos Aires. Les enfants qui naissent de leurs aventures plus ou moins durables et connues du reste du groupe sont élevés collectivement. Quand l’une meurt en couche, son fils orphelin reste avec le groupe. Régulièrement, elles tiennent des discussions philosophiques avec animatrices ( pour ou contre la propagande par le fait?) De même, elles discutent jusqu’à arriver à un consensus pour prendre les décisions importantes.


J’ai été étonnée de voir à quel point toutes ces solutions qu’on m’a présentées comme « de la Transition » ont été en fait inventées et largement expérimentées par les anarchistes il y a déjà un siècle. Plus encore, j’ai été inspirée de voir à quel point ces femmes ont réussi il y a un siècle à vivre ensemble et sans mari malgré les difficultés des conditions matérielles et sociales. Et stupéfaite, encore une fois, de constater à quel point ces pages d’histoire ne sont pas enseignées mais au contraire soigneusement cachées… Même par ceux qui, pourtant, ont les mêmes aspirations ! Et c’est bien dommage parce que ces aspirations gagneraient en force de convictions si on les présentaient comme ayant déjà été largement et avec succès expérimentées !

Si vous avez un.e ami.e féministe ou qui aspire à vivre autrement, offrez-le lui ! Mais lisez-le avant. 😉

Pourquoi se réapproprier le cycle féminin est un enjeu de société?

Peu de femmes voient leur cycle autrement que comme le retour régulier (mais rarement prévu pour autant) d’une punition. Pourtant, de plus en plus de publications, aussi bien scientifiques que féministes différentialistes, rendent compte des effets de ce cycle et des capacités spécifiques et cycliques qu’il confère aux femmes… Mais essentiellement en Anglais !
Du côté des scientifiques, on trouve surtout des publications de Pauline Maki de l’université de Chicago dont un résumé se trouve sur le site de la BBC, lui-même résumé sur Slate : Comment les hormones modifient le cerveau féminin.
Le graphique ci-dessous résume l’essentiel de l’étude (mais je crois qu’il comporte une erreur : lecteurs anglophones, confirmez SVP)

Miranda Gray, dans son livre La femme optimale, résume les principales tendances cycliques et surtout montre comment les utiliser pour optimiser notre efficience et sortir d’une perception de victime du cycle

  • La « semaine » qui suit les règles, la 1re du cycle hormonal, est placée sous le signe du DYNAMISME de la jeune fille. On déborde d’energie, on est super efficace et rationnelle. Moi, je fais encore plus de listes que d’habitude ! On planifie et on organise, on veut des résultats et si les autres n’arrivent pas à suivre… Gare à eux !
  • La période qui suit voit se calmer l’énergie et augmenter la sociabilité et l’empathie, on a envie de voir du monde, de cultiver ses relations… Et notamment sexuelles : ben oui, on ovule cette semaine là ! Nos compétences d’expression sont à leur apogée : c’est la phase de la mère qui réunit sa tribu.
  • La période suivante voit revenir l’énergie mais elle est souvent moins positive, plus tournée vers l’inconscient et les problèmes. Souvent, on est un peu à fleur de peau et les problèmes nous semblent surdimensionnés. Notre esprit est créatif, que ce soit par des associations d’idées étranges mais non dépourvues de pertinence ou par le goût des activités créatrices ou… Du ménage ! C’est la fameuse semaine du syndrôme prémenstruel, que je préfère appeler celle de la sorcière.
  • Et enfin, arrive la période des règles, où l’introversion et le lâcher-prise domine. Plus rien n’a d’importance. Il a été mesuré que cette semaine là, notre cerveau est au même niveau de fréquence qu’au terme d’une méditation profonde. A condition que les conditions permettent le lacher prise et le repos, sinon la colère et la frustration peuvent prendre le dessus. C’est pourquoi renaissent les tentes rouges, ces espaces où les femmes sont invités à venir se retrouver quand elles ont leur règles, comme dans les tribus primitives. Cet état particulier est, en outre, propice aux rêves lucides ou créatifs. Mais note efficacité chute : pas grave, on rattrapera le travail en retard la semaine suivante ! Sans problème !
  • On pourrait ajouter des symptomes physiques à chacun de ces phases, ou des aptitudes particulières mais je vous laisserai les deceler en suivant votre journal de cycle lunaire 😉

Bien sûr, ceci ne constitue que de grandes tendances et chaque femme devrait se pencher sur la façon dont son propre cycle modifie son physique et son mental. Tenir un calendrier de cycle sur au moins 3 mois, par exemple, permet déjà de prendre conscience de récurrences surprenantes. Voici un exemple graphique de calendrier de cycle… Lunaire, parce que, en plus, le cycle féminin naturel est souvent synchro avec les phases de la lune.

Image par Alemko Coksa de Pixabay

Moi, j’ai longtemps utilisé celui-ci, avec comme trackers colorés une rubrique Corps, une état d’esprit, une évaluation globale de 1 à 5 et un mot de résumé. Je ne me rappelle plus le site d’origine et ne l’ai pas retrouvé mais l’attribution figure sur le doc 😉

Pourquoi connaître nos phases est un enjeu de société?

Notre cycle nous offre l’opportunité de nous recréer chaque mois mais aussi la faculté de savoir quoi créer.
Miranda GRAY

Les 4 phases de notre cycle sont en fait un magnifique programme de coaching de développement personnel… A condition de renoncer à toujours être « au top », c’est-à-dire au même niveau d’énergie, de façon linéaire… Masculine ! Penser le progrès comme linéaire est une illusion d’hommes. L’évolution naturelle est cyclique depuis la nuit des temps : les civilisations, les saisons, la reproduction, tout est cyclique ! En prendre conscience permet d’abord de se réinsérer dans la vie… Mais pas seulement !

Pour saisir cet aspect coaching, nous allons lire notre cycle en commençant par la phase la plus difficile, celle de la sorcière, du syndrôme pré-menstruelle : celle où on râle, on pleure, on voit tout en noir… Si l’on admet que, pendant cette période, nous percevons avec acuité tout ce qui nous dérange, toutes nos frustrations : on peut se dire que c’est finalement un bon barométre de ce qu’il faut changer dans notre vie, surtout si ce sont les mêmes crispations qui reviennent de mois en mois.
La semaine suivante, vient le lâcher-prise : les frustrations mineures sont oubliées, on fait du tri… Et les rêveries peuvent nous emmener en rêve vers des scénarios différents, plus épanouis, ou nous suggérer des solutions.
Semaine suivante, on est super efficace : on peut élaborer notre plan de combat pour s’attaquer à l’une de nos frustrations et débuter la campagne. On aura la force d’avoir des discussions difficiles si besoin et d’être claire et concise.
La semaine suivante, on peut mettre à profit la hausse de notre sociabilité pour, au contraire, solliciter du soutien, améliorer nos rapports humains, développer notre réseau…
Et la semaine suivante, faire un premier bilan de la stratégie du mois… Qui sera relativisé la semaine suivante et ajusté/poursuivi le cycle d’après…
Et ainsi de suite !

Bien connaître ces phases, et savoir où elles arrivent, permettent aussi de mieux planifier ses activités. Je ne prévois rien en semaine sorcière, j’invite des amis en semaine Mère, je cale les RDV compliqués en semaine Jeune Fille et un SPA juste avant mes règles 😉
Et oui, mes phases sont notées dans mon agenda. Et oui, il m’arrive de dire « Cette semaine n’est pas la bonne !  » Après tout, la moitié de l’humanité est dans le même cas, non ? Mais elle l’ignore !

Image par jacqueline macou de Pixabay

Ce qui m’amène au dernier point… Si l’on persiste à vouloir fonctionner sur un modèle masculin, nous nous condamnons à l’échec, voire pire… Ainsi, quand une femme se plaint d’être gênée par son syndrome pré-menstruel aujourd’hui, on lui supprime son cycle par le biais de contraceptifs à la progestérone. Mais, on n’oublie/ignore qu’on lui lisse aussi son désir, sa créativité, sa joie de vivre (plus de crises de larmes, certes, mais plus de fous rires). Si on lui donnait aussi ces paramètres et qu’on lui expliquait le sens du cycle, ferait-elle le même choix?
Je le sais, je suis passée par là : 10 ans sans cycle, 10 ans de gris. Puis, après la lecture de Miranda Gray, à 32 ans, j’ai voulu arrêter. J’étais morte de trouille. En 3 mois, ma perception du monde a changé et surtout, j’ai repris du pouvoir sur ma vie… Un an plus tard, je suis allée le raconter à ma gynéco… Qui m’a rétorqué  » Je suis médecin, je ne peux pas tout lire !  »
C’et donc bien à chaque femme d’apprendre à se connaitre et à savoir utiliser ses super-pouvoirs. Le tabou sur le cycle féminin, et les règles, est (évidemment) un regard masculin qu’il est capital de transcender pour avancer dans le chemin de l’empowerment.

Un homme peut-il être féministe? Définir le féminisme

Un homme féministe?

Oxymore, genre le soleil noir ! Voire traître à sa patrie !
Et pourtant, de nombreux britanniques, par exemple, soutinrent activement les suffragettes, allant jusqu’à porter leurs couleurs. Alors pourquoi le féminisme est-il perçu, spécialement en France, comme un choix impossible pour les hommes?

Résoudre ce paradoxe nécessite d’éclaircir notre définition du féminisme, de la diversifier. Parmi les nombreux courants du féminisme, voici les 3 plus pertinents

  • La version la plus connue en France du féminisme est celle d’un féminisme radical et matérialiste hérité de Simone de Beauvoir. Pour l’auteur du Deuxième sexe,

« On ne nait pas femme, on le devient. »

C’est la société qui fait la femme… Et la domination de la femme par l’homme. Pour se libérer et atteindre, que dis-je conquérir, l’égalité, il s’agit donc de renier cette acculturation de la soumission, de la défier . Le féminisme radical revendique donc l’égalité qui consiste souvent à… Se transformer en hommes ! La femme féministe doit gommer tout ce qui la montre femme donc inférieure, elle doit conscientiser et rejeter le patriarcat, la culture d’oppression masculine et cela a pu prendre des formes violentes.
C’est cette forme de féminisme qui est la plus connue en France et qui explique le rejet du féminisme aujourd’hui. Mais ce n’est pas la seule.

  • A l’opposé, le féminisme différentialiste, dont émane l’écoféminisme, pose qu’il existe des différences essentielles entre un homme et une femme mais que ces différences essentielles ne devraient pas être des motifs de hiérarchisation, plutôt des complémentarités à exploiter. Ce féminisme a par exemple été pensé par Julia Kristeva ou Antoinette Fouque.
    L’existence d’un cycle (menstruel) chez les femmes est posé comme une différence fondamentale, nier cette différence est contreproductif et attendre des femmes qu’elles sentent/travaillent/réagissent toujours de la même façon revient à demander à la Terre de rester en été… Grâce à (ou à cause de) ce cycle et aux hormones associées, les femmes sont globalement plus empathiques et enclines à prendre soin des autres, plus lucides/critiques aussi. Autant en faire des forces et valoriser ces pouvoirs plutôt, comme cela est par exemple exposé par Miranda Gray dans la femme optimale, que de vouloir les étouffer pour se transformer en guerrière super efficace… Et super frustrée ! Pour des raisons hormonales aussi, les hommes sont globalement plus agressifs et plus constants dans la productivité.
    Cela ne veut pas dire que les femmes ne ressentent pas d’agressivité et les hommes pas d’empathie : c’est ici (et seulement ici) qu’intervient la culture. Soit on s’autorise à exprimer voire valoriser les compétences vues comme étant de l’autre sexe, soit pas… Le féminisme différentialiste dit « Nous sommes différents et nous voulons l’équité, le droit à chacun de valoriser tout son potentiel, indépendamment des habitus culturels. »
  • Nier que ces tendances/comportements sont aussi valorisés de façon différenciée par la culture, dire que l’homme est « par essence » agressif et la femme « naturellement » sensible, et enfermer chacun des deux sexes dans sa partition, revient à sombrer dans le féminisme essentialiste. Ce féminisme pense que les hommes et les femmes sont radicalement et totalement différents par nature et en déduit une spécialisation qui aboutit vite à une hiérarchisation.

Dans quel cas un homme peut-il s’assumer féministe?

  • Le féminisme radical de Simone de Beauvoir a produit de la violence, il prend à parti les hommes qui se sentent critiqués, rejetés, menacés… A juste titre !Il leur est dès lors bien difficile de pouvoir être féministe et, en rentrant dans des rapports de pouvoir (reconnus pourtant comme patriarcaux), le féminisme radical provoque le rejet des hommes et d’une partie des femmes, peu à l’aise avec cet aspect vindicatif et/ou avec l’injonction de se transformer en homme. C’est à cause de cette image de féministe anti-homme que peu d’hommes aujourd’hui osent se revendiquer féministes… Et pas tant de femmes que ça !
    Pourtant, avec le féminisme radical, l’égalité politique a progressé et, dans une moindre mesure, l’égalité sociale. Les femmes ont accédé aux compétences masculines et s’autorisent à développer leur combativité, leur leadership etc… Mais elles ont perdu ce qui fait leur force : le pouvoir de leur cycle et la créativité qui l’accompagne.
    En revanche, les hommes n’ont pas conquis le droit à laisser s’exprimer leurs compétences féminines, ou bien moins. Les hommes qui sont dans le soin et y sont bons, vont vite vouloir être chef : c’est plus acceptable socialement. Ceux qui créent le font souvent en restant dans le rationnel. Bien sûr, il y a des exceptions et les grands couturiers et cuisiniers sont des hommes… Ils ont justement réussi à exploiter harmonieusement qualités de leadership et créativité ! Et bien sûr, impossible d’exprimer ses émotions ou ses sentiments, de montrer ses faiblesses si l’on veut rester viril !

  • Aujourd’hui, au moins chez les moins de 50 ans, le courant différentialiste a conquis les esprits… sans qu’on y voit forcément du féminisme. La lutte contre les stéréotypes de genre est bien entré dans les moeurs mais il y a encore du chemin à faire, de plus en plus d’hommes jeunes assument leur compétences dites féminines
    Finalement, les hommes ont encore plus à gagner que les femmes à être féministes différentialistes, cela leur permettrait enfin de légitimer leur créativité et leur émotivité et ainsi d’exploiter tout leur potentiel.
    Les femmes, quant à elles, gagneraient aussi à cesser de penser qu’elles sont comme les hommes : c’est faux ! Nous sommes cycliques et nous créons la vie : cela fait 2 différences de taille qui ne peuvent qu’impacter profondément notre rapport au monde, mieux vaut en être conscientes et pouvoir, là aussi, valoriser ce potentiel.
  • Bien entendu, cela ne fonctionne qu’à condition de ne pas s’enfermer dans une lecture littérale et restrictive de ce qu’on est supposé être de naissance, de bien avoir conscience que toutes les qualités sont en chacun et que c’est bien la culture qui va en valoriser certaines et en interdire d’autres, en fonction du sexe. C’est-à-dire d’éviter le féminisme essentialiste.

En conclusion, un homme aura bien du mal à être féministe radical sans se trahir.
S’il est féministe essentialiste, il risque de ne pas être féministe longtemps tant l’essentialisme enferme vite dans des hiérarchies de genre 😉
En revanche, beaucoup d’hommes sont féministes différentialistes… sans le savoir ou l’assumer !

Les féministes : à quoi pensaient-elles? sur Netflix

La réalisatrice Johanna Demetrakas reprend la série de portraits féministes réalisés et publiés par Cynthia Mac Adams entre 1974 et 1977. Celle-ci avait photographié des femmes artistes pour fixer sur la pellicule le changement provoqué par la 2eme vague féministe, celle de la revendication politique et de l’identité sexuelle, qui permit à ces femmes d’ « Etre elles-même dans leur centre. » Quarante ans plus tard, que sont devenues ces femmes? Quel regard portent-elles sur cette période?

La première partie du documentaire traite du conditionnement social et de l’impact de l’éducation que ces femmes avaient reçue. Toutes soulignent l’interdiction faite aux filles d’exprimer leur colère et l’injonction d’être gentille, non agressive.
Mais elles soulignent aussi l’importance de leur propre famille, souvent déjà militante : communiste, sorcière, mère 1re femme à embaucher un black chez Time. L’une d’elle dit avoir « hérité du sentiment que je méritais l’égalité »,

« Ma mère m’a appris à aller chercher ce que je voulais et à refuser qu’on me dise non »
Sally Kirkland, actrice et pasteur

Et donc, beaucoup se sont retrouvées dans une injonction paradoxale, devant cumuler « les femmes ont le pouvoir »ET » sois sage ».

Conditionnées à « ne rien abandonner par amour » , beaucoup reconnaissent l’avoir fait, se condamnant à la dépression voire au suicide.
Phyllis Chesler a écrit les femmes et la folie, sur le traitement fait aux femmes par la psychothérapie, les méthodes d’internement ultra violentes… Dont l’objectif était simple : les rendre capables de tenir leur rôle social à nouveau !
Toutes soulignent le fossé entre les discours qu’elles tenaient, les revendications qu’elles assumaient et la réalité sociale et familiale qu’elles ont vécue.

« Je ne sais que depuis 10 ans que NON est une phrase complète »
Jane Fonda

La deuxième partie du documentaire traite de ce qui a été fait pour contrer ce système, notamment avec le personnage de Judy Chicago. Elle constata l’impossibilité de transmettre la culture féminine dans des institutions qui ne le sont pas et donc créa une école d’art féministe. Elle dit que son art s’est d’abord concentré sur les déficits, dont souffraient les femmes, et que, pour y remédier, elle a dû passer à la désobéissance. Je trouve importante cette prise de conscience de l’impossibilité de compter sur les institutions d’un système qui rejettent et donc de la nécessité d’en créer d’autres.

« Les femmes n’étaient plus en compétition entre elles pour un homme; elles luttaient ensemble pour la liberté de toutes »

Enfin, l’une des femmes interrogées mentionne qu’à l’époque, elles ne voulaient pas être appelées suffragette comme aujourd’hui on hésite à être appelée féministes : ayant bien intégré que nous devons être sages, nous avons peur de faire peur ! Et l’image populaire des suffragettes, comme celle des féministes, est suffisamment dégradée pour faire fuir…

En tant que femmes, nous devons assumer fièrement ces ancêtres et la manière dont elles se sont battues pour nos droits, manière bien moins violente que tous les combats menés par des hommes pour de moins nobles causes mais dont peu rougissent. Inspirons-nous de ces résistantes et ne laissons pas notre mémoire et notre imaginaire se faire coloniser par la vision masculine de ce mouvement ! Et ce documentaire y participe assez bien !

Suffragette SALLY de Gertrude Colmore

Suffragette Sally est un très beau roman mais c’est aussi un exceptionnel témoignage sur le mouvement des suffragettes. En effet, il a été écrit en 1911, par une militante du mouvement pour le droit de vote des femmes (et aussi du bien-être animal), Gertrude Colmore, pseudonyme de Gertrude Baillie-Weaver (1855 – 1926).

Photo d’une suffragette anglaise utilisée pour la couverture du roman d’origine

Le roman s’organise autour de 3 héroïnes :

  • Sally, l’héroïne éponyme, est une jeune bonne dans une famille de la classe moyenne qui découvre le mouvement pour le droit de vote des femmes au début du livre et va peu à peu tout y sacrifier. C’est une femme du peuple, pleine de verve, qui va se révéler dans ce combat.
  • Edith Carstairs est une jeune fille de la petite noblesse, rêveuse et timide qui, au début du roman, est suffragiste, c’est-à-dire qu’elle veut obtenir le vote par la voie légale et gouvernementale. Peu à peu, elle va devenir plus radicale et y perdre beaucoup.
  • Lady Hill est une duchesse, oratrice phare du mouvement qui, au début du mouvement, ne participe pas aux actions de protestation mais va passer à l’action et ainsi aller en prison.
  • Toutes les trois entretiennent des relations de couple qui vont être différemment affectées par l’évolution de leurs positions et leurs actions et permettent de percevoir aussi le positionnement masculin sur cette question
  • Une large galerie de personnages secondaires permet d’avoir un aperçu assez exhaustif de la société britannique du début du XX, certains personnages historiques étant d’ailleurs présents dans le roman sous une autre identité.

Bien que diplômée en Histoire, je ne connaissais pas grand chose au mouvement des suffragettes. Je n’étudie pas ce mouvement pour le plaisir ou la curiosité mais pour y trouver des modèles de résistance, à la fois pour inspirer, soutenir et former nos esprits élevés dans la résignation.
Par conséquent, j’ai été stupéfaite de mesurer à quel point le mouvement des suffragettes avait enflammé et divisé la société anglaise, (au moins autant que l’affaire Dreyfus, me semble-t-il, mais avec des enjeux bien différents), à quel point ces femmes s’étaient mobilisées, avaient résisté et avaient été férocement réprimées, à quel point leur vie en a été massivement bouleversé. Les scènes de répression policière dans les rues et les récits des séjours en prison, notamment celles de gavage contre la grève de la faim, sont saisissantes. Avec toujours en arrière plan ce paradoxe :

« C’est ce qu’on inflige aux femmes, et non ce qu’elles font, qui, pour la plupart des gens, rend peu féminins le rôle qu’elles ont dans ce mouvement. (…) En tous cas, si nous devons cesser de manger, on ne pourra pas nous accuser de vouloir imiter les hommes. »

La division entre suffragistes et suffragettes quant à la confiance à accorder au gouvernement et à la patience qu’il faut avoir (ou pas) a aussi beaucoup suscité d’échos en moi : les suffragettes tenaient que, depuis 50 ans qu’elles réclamaient le droit de vote en vain, il était temps de faire des actions plus impressionnantes et contraignantes, alors que les suffragistes étaient partisan.e.s d’attendre la décision du gouvernement.

« Ce fut comme pour n’importe quelle cause vitale. Sa défense naît presque timidement ; les vagues restent des clapotis, elles sont méprisées, moquées, par ceux qui représentent les rochers – rochers que la marée va recouvrir. Ce n’est que lorsqu’elle soulève l’antagonisme, la colère, le ressentiment qu’on peut avoir la certitude qu’une cause gagne du terrain. Ce sont les rochers qui font les lames, c’est autour d’eux que la marée monte, s’agite et tourbillonne. »

Il y a tout au long du roman une réflexion sur les conditions, l’utilité et les conséquences de la mobilisation, ainsi que sur l’opposition qu’elle suscite.

« Il y a 3 choses que l’on oppose systématiquement aux mouvements qui s’appuient sur la force morale et tendent à l’amélioration du sort des opprimés. La première est l’intérêt général ; le deuxième l’intérêt des opprimés eux-mêmes et la 3ème, le sentimentalisme hystérique de leurs partisans »

Ainsi, on assiste plusieurs fois dans le roman à l’envoi d’une délégation de 8 femmes au Parlement afin d’y être reçues, ce qui est un des droits fondamentaux de tout citoyen britannique, depuis le Bill of Rights. Les suffragettes s’en sont saisies pour faire valoir leurs droits, tout comme elles intervenaient dans les meetings pour poser cette simple question : « et pour le vote des femmes? »… Et elles étaient systématiquement reçues par la police et arrêtées, suscitant rapidement des émeutes… ce qui ne les empêche pas de recommencer la semaine suivante. Le récit du Black Friday du 18 Novembre 1910, jour où la Police reçut l’ordre de bloquer le passage vers le Parlement de 300 femmes organisées en délégation de 8 personnes… Sans en arrêter aucune est d’une rare violence, conforme à la rélaité historique.

Plusieurs séjours en prison sont racontés, notamment ceux de Lady Hill, une aristocrate intellectuelle.Ses réflexions sont d’une étonnante modernité.

« Obéir était devenu une habitude, presque un besoin ; de toute la journée, il n’y avait pas une seule occasion d’exercer son jugement, sa volonté, sa capacité de décision ; on lui disait exactement ce qu’elle devait faire et elle apprit à s’y plier sans réfléchir ni se poser de questions. Elle se demanda alors quels pouvaient être les effets de ce système au bout de plusieurs mois. »

Lady Hill y retournera ensuite sous une fausse identité populaire pour pouvoir témoigner des mauvais traitements infligés aux femmes du peuple (mais pas au ladies), notamment dans le cadre du gavage, et prouver ainsi que le traitement dépend de la classe sociale, calquant sa conduite sur celle de Lady Constance Lytton.

A 1910 poster by Alfred Pearce for the WSPU showing a suffragette being force-fed
A 1910 poster by Alfred Pearce for the WSPU showing a suffragette being force-fed

La détention et les mauvais traitements subis par Sally sont aussi très poignants, ils reprennent exactement le vécu de Sélina Martin tel qu’il a été publié dans la revue Votes du Women. Toutes deux obtiennent leurs broches et sont honorés par un défilé de sortie de prison, comme celui du 18 Juin 1910, qui est aussi magnifiquement décrit, avec un décorum et un sens du spectacle et de l’héroïsation dont on pourrait s’inspirer.

Enfin, et même si ce n’était pas mon intérêt principal ni d’ailleurs le coeur du roman, on retrouve bien sûr l’argumentaire en faveur du vote des femmes, tout comme celui des détracteurs. L’extrait ci-dessous est la thèse du plus ardent défenseur du vote féminin, un homme donc : la nécessaire complémentarité de points de vue et de compétences.

« Nous avons besoin que les femmes jouent un rôle dans les affaires publiques, nous avons besoin de leur force motrice, de leur persévérance. Les hommes sont peut-être plus courageux physiquement mais pas moralement. Les femmes sont capables d’affronter le ridicule, d’indéfiniment supporter les difficultés, et de s’accrocher à quelque chose alors que les hommes laissent tout tomber par ennui ou dégôut. »

J’ai vraiment apprécié ce roman, il est bien écrit et bien construit, pas du tout dogmatique et j’y ai trouvé ce que je cherchais : des exemples de résistances passées : personnages, actions de tout type, impact sur la vie privée. C’est une bonne porte d’entrée en imagination de la résistance et cela m’a fait me questionner sur pourquoi le mouvement des suffragettes est-il si peu connu et étudié en France. La réponse est sûrement précisément dans l’intérêt que j’y vois : non seulement c’est un exemple de résistance à l’ordre établi, sur des modalités violentes, mais en plus, c’est un exemple d’empowerment féminin collectif. Pas vraiment tendance dans les médias main stream 😉
Ce roman a mis 100 ans à être traduit ! Enjoy…

Chasseurs VS grand mère

Réflexions croisées sur Pourquoi l’amour est un plaisir de Jared Diamon et Les origines de l’empathie de Sarah Blaffer Hrady

A quoi bon les hommes?

Ce n’est pas de moi mais le titre d’un chapitre de Jared Diamond où il fait part de sa perplexité. En effet, il avait en tête, comme beaucoup d’entre nous, que l’utilité sociale des hommes consistaient, initialement, à chasser pour nourrir leur famille. Or, des études récentes menées par Kristen Hawkes sur les sociétés de chasseurs cueilleurs notamment Aché au Paraguay montrent que c’est faux.

En effet, un homme rentre bredouille environ 4 jours sur 5 (voire 28 sur 29 chez les Hadza de Tanzanie) et donc son revenu calorique journalier est de 9634 calories contre 10 356 pour une femme, obtenus en pilant des feuilles de palme et récoltant larves et insectes. Les femmes ont impérativement dû trouver les moyens de garantir leur alimentation car elles ne peuvent prendre le risque de jeuner, notamment à cause de l’allaitement.
Exit donc le rôle vital de la chasse au gros gibier pour pourvoir aux besoins de sa famille, et ce d’autant plus que, chez les Aché, le partage est tellement intégré que les 3/4 de ce qui est mangé est fourni par quelqu’un d’extérieur à sa famille.

Description de cette image, également commentée ci-après
Hadza de Tanzanie
Aché du Paraguay

« La chasse au gros gibier n’est tout simplement pas le meilleur moyen de nourrir une famille. »

Les membres les plus importants pour nourrir la tribu sont… Les grand-mères ou femmes ménopausées. Chez les Hadza, les grand-mères passent 7 heures à la cueillette contre 4h30 pour les mères et 3 pour les jeunes filles : ce sont elles qui assurent l’essentiel de l’approvisionnement

« Pour transformer des calories de nourriture en kilos de nourrisson, une grand-mère a intérêt à donner des calories à ses petits enfants et à ses enfants agés plutôt qu’à ses propres nourrissons, d’autant que sa fertilité serait bien moins bonne que celle de ses propres enfants âgés. »

Les études les plus récentes des primatologues, relatés par Sarah Blaffer Hrady, confirment l’importance des vieilles femelles pour le succès reproductif de leurs filles, même si les cas où les filles restent dans leurs groupes de naissance et où leurs mères vivent assez longtemps, sont de fait, assez rares chez les singes non humains. Quand cela arrive, les grand-mères ou grandes tantes peuvent défendre leurs petits enfants ou aider leur fille inexpérimenté ou prendre le relais pour nourrir les plus âgés des enfants. Chez les singes humains comme non humains, les vieilles femelles ont aussi des connaissances spécifiques, notamment sur les plantes comestibles. Enfin, avoir une grand-mère à proximité réduit significativement les effets négatifs des traumatismes sociaux. Les grand-mères sont les alloparents idéals et les bénéfices de leurs présences augmentent d’autant que la mère est peu expérimentée et a peu d’enfants ainés pour l’aider.

Mais alors, il vaudrait mieux une grand-mère qu’un homme? La suite demain… 😉

Taille, talons et couple

Je mesure1m68, ce qui, à vue de nez, me situe dans la moyenne haute des femmes, plutôt grande mais à peine…
La majorité de mes relations masculines, y compris de couple, sont donc plus grandes que moi et j’ai longtemps dû lever (légèrement) les yeux vers eux.
Et puis, je me suis convertie aux talons…

chaussures talons haut rouge chinoises


Plus exactement, j’ai assumé d’aimer en porter alors que cela me rendait aussi grande que mon compagnon de l’époque, qui n’appréciait pas particulièrement cela… raison pour laquelle je me l’étais interdit.
Et aussi, parce que, effectivement, cela modifiait notre posture quand il me prenait dans ses bras et que je n’aimais pas particulièrement cela…

Cela m’amène à quelques remarques :

  • Tout mon imaginaire du couple était basé sur « un homme se baisse pour embrasser une femme/ il l’entoure de ses bras rassurants, pauvre petite créature qui a sa tête au niveau de ses épaules et donc doit vraiment beaucoup lever la tête pour l’embrasser ». Regardez Clark Gable embrasser Scarlett !
la marche aux pages: > Le baiser mis à nu
  • Le prince charmant est plus grand que moi… Un peu comme mon père, en fait… Il y a de l’infantilisation et de la soumission dans ce stéréotype, nettement.
    Et un accessoire aussi anodin que des talons modifient profondément cela : j’irai même jusqu’à penser que cela a modifié le regard des hommes sur moi. L’égalité se joue aussi dans la hauteur de regards… En tous cas, cela a joué sur MA confiance en moi et dans ma façon de me positionner par rapport à eux… Certains ne supportent pas.
  • Maintenant, imaginons que j’ai un amoureux qui fasse ma taille : qu’est-ce que cela change?
    • je ne suis pas obligée de monter sur la pointe des pieds ou d’attendre qu’il baisse la tête pour l’embrasser : c’est cool, ça ! Ca ouvre vraiment des perspectives… 😉 mais c’est aussi un autre positionnement à apprivoiser.
    • on se regarde vraiment à même niveau, yeux dans les yeux, tout le temps… L’égalité devient réalité. Et quand je mets des talons, c’est moi qui doit m’incliner : trop bizarre !
    • je ne peux plus attendre de lui qu’il me console comme j’aurai aimé que le fasse mon père, du haut de toute sa puissance rassurante. Je dois donc repenser mes attentes, dans une direction plus… adulte? Car il peut m’apporter du soutien d’égal à égal, comme le feraient… Mes amiEs !

  • Vous me direz « Etre plus grand ne veut pas dire dominer », certes mais… Est-ce si sûr? Je pense que dans cette inégalité physique, se trouve la source de bon nombre de préjugés et comportements sexistes. D’autant que, pour les enfants, « les grands ont toujours raison »…. L’âgisme peut se donner des justifications biologiques. Or, en tant que femme, ben… On reste (plus) petites ! Et on intériorise ces positionnements, ces comportements. Moi, en tous cas, je les avais méchamment intériorisés.
    Je ne vous conseille pas de porter des talons et/ou trouver un amoureux de votre taille mais nos corps ont des mémoires et un langage qu’il faut conscientiser si on veut se libérer…
    J’ai dansé quelques fois avec un homme bien plus petit que moi : il avait une présence (et un regard) extraordinaire… Et une petite amie bien plus grande que moi ! Ils m’ont fait réfléchir… Et que penserait-on aujourd’hui d’un homme qui, comme Louis XIV, porterait des talons? Cela aussi mérite d’être questionné…